Se mettre au vert pour plus de productivité et de sens

Juniper dunes

À l’heure où la canicule fait ressortir différentes études sur l’effet des températures sur la productivité (voir cet article), il est utile de s’interroger sur les promesses autour des bureaux de demain. Car les notions de bureau virtuel de l’employé du futur, ou de flex-office, ou d’activity-based office, ou de bureau dématérialisé restent toujours ancrées dans un environnement bien physique, dans le cadre d’interactions humaines.

Certes, les technologies ont modifié les environnements de travail et ce n’est pas fini. Mais l’humain n’est pas subsumé aux technologies. Elles ne devraient pas avoir pour objectif de le modifier pour en faire un rouage d’une mécanique purement productive. Cela n’améliorerait en rien la condition humaine. Que les outils soient au service de plus de créativité humaine, qu’ils fournissent des conditions favorables, pourquoi pas. Mais ils devraient demeurer des moyens, pas une fin en soi. De plus, il est impératif de ne pas négliger l’environnement global dans lequel ces outils s’insèrent. Ni leur impact sur cet environnement…

Les exigences de l’environnement de travail du 21e siècle

Laptop lady in the sun

laptop lady in the sun. Credit Photo Michael Coghlan, License CC-BY-SA 2.0

Dans les tendances désormais clairement établies, l’environnement de travail doit fournir la même infrastructure de collaboration à tous les employés. Il se doit désormais d’être mobile, accessible à partir de n’importe quel équipement, de n’importe quel lieu, avec une connexion Wi-Fi sécurisée, à n’importe quel moment.

Le bureau de l’employé du 21e siècle n’est plus statique, mais nomade. On ne le veut plus physique, mais virtuel, quoique sécurisé. Car le niveau de sécurité attendu de ce bureau virtuel est tout aussi important, en raison des Cybermenaces, que celui attendu de locaux situés dans un environnement physique bien protégé. On doit pouvoir partager en toute confidentialité avec ses collègues en télétravail ou en déplacement, et pouvoir retrouver de n’importe où tel ou tel fichier, ou consulter sa messagerie ou échanger en asynchrone ou en instantané, et prendre des rendez-vous avec les uns et les autres indépendamment de la distance, en réservant un des créneaux qu’ils peuvent afficher comme disponibles.

Le cloud (pourvu qu’il soit sécurisé) offre cet accès nomade à l’information professionnelle, pour la plupart des entreprises, à un prix raisonnable, ainsi que toutes les solutions qui permettent de partager des idées, des agendas, des fichiers, des notes, de façon très flexible et à la demande. On peut envisager, pour des employés qui n’ont pas à manipuler d’objets physiques, une simple connexion, par un point d’accès unique et n’importe quel équipement (PC, tablette, smartphone), à un espace de travail numérique personnel qui contiendrait tous les outils logiciels nécessaires à la réalisation de leur travail (applications de collaboration, de communication et de coordination, applications métiers, outils de pilotage et d’aide à la décision).

Faire table rase des bureaux du passé

flex office in car

Le bureau dans la voiture, une bonne idée? Photo licence CC BY-SA-NC

Ce qui conduit certaines sociétés à faire table rase des bureaux attitrés. Il y a désormais moins de bureaux que d’employés. Chacun peut occuper n’importe quel espace en se connectant à son compte de manière sécurisé. Il n’y a plus de bureau fixe, que des espaces partageables équipés à réserver, et où se connecter à son espace de travail virtuel (ses applications et fichiers).

Ce principe du bureau flexible (Flex office) est de supprimer les bureaux nominatifs et les espaces attitrés, grâce au support des technologies mobiles. Pour que cette flexibilité soit acceptée et efficace, il faut l’accompagner d’une flexibilité dans l’organisation créatrice de valeur ajoutée pour les collaborateurs. Ainsi le projet PWC, lancé à l’international dès 2011, «workplace of the future » avait pour objectif affiché de « favoriser les échanges et donc l’idéation et la créativité». Des collaborateurs y ont trouvé leur compte dans l’équilibre vie privée/vie professionnelle. Ann Donovan, People innovation à PWC, s’en était fait l’ambassadrice sur le site working mother.

Tandis que d’un côté le bureau professionnel se virtualise, les autres équipements physiques du quotidien se professionnalisent, deviennent bureau et ordinateur à leur tour. Telle la voiture de fonction qui se connecte avec l’agenda et le carnet d’adresses pour informer le conducteur de l’heure optimum de départ pour un rendez-vous professionnel, en prenant en compte l’état du trafic routier.

Il est difficile d’écarter la logique de productivité sous-jacente chez les sociétés de conseil, d’audit et entreprises de services. En effet, elles vendent surtout de la matière grise. Les commerciaux ou consultants devant d’abord être chez le client, ne pas disposer d’espace personnel pourrait éventuellement les y inciter davantage, tout en réduisant les coûts de structure. L’avantage premier est financier. Si en plus la voiture devient un espace de productivité et l’employé est accessible à tout moment, on a ici des ressources intellectuelles a priori très corvéables.

L’être humain a un besoin vital d’interactions et de sens

Dilbert Nightmare

Dilbert Nightmare -Credit Photo Tim Patterson – Licence CC-BY-NC-2.0

Néanmoins, imaginer le bureau du futur comme un espace anonyme, totalement impersonnel, pour des employés à col blanc interchangeables, très mobiles et très productifs, mais totalement désolidarisés des uns et des autres et travaillant sur des tâches individualisées, a de nombreuses limites.

D’abord, il est très mauvais de réduire les tâches à un domaine avéré de compétences. Sept ans d’analyses et de travaux du projet « Sciences de l’apprentissage et recherche sur le cerveau » du CERI de l’OCDE ont montré de nombreuses choses sur le processus d’apprentissage. Dont «Chez les adultes plus âgés, l’aisance ou l’expérience dans une tâche donnée peut réduire le niveau d’activité cérébrale : on peut considérer cela comme une preuve d’un traitement plus efficace. Mais le cerveau décline quand on l’utilise moins, ainsi que quand on vieillit. Des études ont montré qu’apprendre peut limiter le déclin cérébral […] la neuroscience a montré que l’apprentissage se fait tout au long de la vie, et que plus on continue d’apprendre, mieux on continue d’apprendre.» Extrait de « comprendre le cerveau : naissance d’une science de l’apprentissage» de la conférence internationale OCDE/CERI «apprendre au 21e siècle».

Le cerveau se développe d’autant plus qu’il sera stimulé et les interactions sociales participent de cette stimulation. L’être humain a un besoin vital d’interactions dans un environnement favorable à l’apprentissage (avec qualité de l’environnement stricto sensu et des rapports humains). Il a aussi besoin de se projeter dans une œuvre ayant un sens durable.

Les attentes des Millenials : rien de nouveau sous le soleil

United hands

United Hands – Credit Photo Rita M – licence CC BY-NC-ND 2.0

De plus, prévoir des espaces qui favorisent et encouragent des rencontres fortuites, avec des personnes extérieures à son microcosme, peuvent mener, par un effet de sérendipité, à des idées nouvelles. A contrario, vouloir organiser l’inattendu a ses limites, bien entendu.

L’innovation a besoin de collaboration et de communication directe. Il y a peu de chances qu’elle se génère spontanément au sein de silos de tâches effectuées en parallèle, par des individus désolidarisés et pilotés automatiquement selon une logique de dépassement des performances. C’est-à-dire, une dictature du « management par objectifs », telle que dénoncée par des spécialistes du travail le 12 février 2016 dans un article de l’express.

Dans une étude en 2017-2018, les sociétés haigo et Kardham se sont associées pour donner la parole aux attentes des Millenials, quant aux espaces de travail de demain. En soi, les attentes ne sont ni si nouvelles, ni si impossibles à satisfaire, car finalement, elles rejoignent ce que la pratique a montré comme nécessaire à la productivité et à la créativité.

Ainsi le télétravail est considéré comme nécessaire (a minima une journée par semaine), mais pas la panacée, car il dématérialise l’engagement avec l’entreprise et peut démotiver par manque de contacts humains. La génération Y promeut le travail collectif et collaboratif, mais pas le travail sans liens humains directs, et veut des espaces communs fédérateurs.

Se mettre au vert pour plus de productivité

plante verte dans un cubicle

Repousser les murs … Credit Photo Maia C., licence CC BY-NC-ND 2.0

Pour l’agencement de ces espaces, de nombreuses études soulignent à quel point des environnements plus proches de la nature (lumière naturelle, plantes vertes, tranquillité), conviennent au bien-être des employés et dès lors, contribuent à plus de productivité et de créativité. Ce que les neurosciences confirment comme l’importance de l’environnement pour améliorer le fonctionnement cérébral.

Ainsi, selon une étude de 2015 commandée par un fabricant de dalles de moquettes, Interface, menée sur 7600 employés de 16 pays et pilotée par un psychologue organisationnel, les employés travaillant dans des environnements naturels affichent un niveau de bien-être plus élevé que les autres (plus 15 %), plus de productivité (écart de 6 % en plus) et sont 15 % plus créatifs dans l’ensemble. La lumière naturelle, des plantes d’intérieur vivantes, et un espace de travail silencieux sont les trois premiers éléments ressentis comme positifs.

Cette étude converge avec le résultat de l’étude de 2014 menée par des psychologues : ‘The Relative Benefits of Green versus Lean Office Space: Three Field Experiments’ Marlon Nieuwenhuis, Craig Knight, Tom Postmes, S. Alexander Haslam. En enrichissant un bureau spartiate avec des plantes, on peut obtenir des gains significatifs en productivité (moins d’erreurs dans le traitement de l’information, des tâches effectuées plus rapidement, plus de vigilance). Ce qui n’est pas trop la philosophie du « lean », soit dit en passant…

Donc si le bureau du futur devra être nomade et virtuel pour plus de flexibilité, ce n’est pas à n’importe quelles conditions. Si l’espace personnel des uns et des autres peut être n’importe où, sans bureau fixe, les organisations ne peuvent et ne doivent pas oublier, la nécessité cruciale d’avoir des espaces communs, où pouvoir laisser le temps à la réflexion et aussi donner du sens aux interactions humaines pour générer de la stabilité et de la confiance. L’agilité du bureau du futur n’est donc pas uniquement dans le bureau mobile virtuel. Il s’agit aussi, de plus en plus, de créer des espaces de co-création et les conditions d’une innovation « qui fasse sens ».

Un bureau virtuel pas si immatériel

Un datacenter bien physique – Crédit photo CommScope, license CC BY-NC-ND 2.0

C’est un équilibre à trouver entre flexibilité (pas de poste fixe, un employé nomade, qui s’adapte à un environnement changeant) et stabilité. C’est-à-dire pouvoir disposer d’espaces communs stables, agréables, pour se retrouver, aussi bien pour la détente, l’isolement requis pour un coup de fil confidentiel, que pour la co-réflexion, mais aussi des lignes directrices données.

C’est une démarche visiblement gagnante à entreprendre pour l’organisation, dans le cadre d’une réflexion globale sur sa mission, sa raison d’être. C’est pourquoi l’environnement de travail numérique ne peut pas être vu que sous l’angle numérique, où tout serait « dématérialisé ». Il y a bien entendu les outils logiciels, mais il y a aussi les dimensions spatio-temporelles dans lesquelles les humains vont avoir à échanger. À l’heure où cette canicule nous rappelle également à l’urgence d’agir face au réchauffement climatique, il serait anormal de ne pas rappeler le « coût » sur l’environnement de cette supposée « dématérialisation » de nos bureaux.

Car si d’un côté nous avons moins de déplacement en transports de toute sorte, de l’autre, le numérique pollue. Ce qui n’est pas encore perçu suffisamment, comme le déplorait cet article de la tribune en début d’année. Certes, le bureau « nomade et virtuel » obtenu grâce au cloud, ce n’est pas l’affaire de nuages éthérés. Les datacenters qui sont derrière sont de véritables usines physiques du numérique, avec des fermes de serveurs. Lesquelles consomment beaucoup et consommeront encore plus avec l’avènement de la 5G ou l’accélération des cryptomonnaies. Nous avons aussi toujours plus d’équipements (tablettes, PC, smartphones, équipements connectés), dont le recyclage est loin d’être anodin. Sans parler des câbles réseau, des antennes, des routeurs…

Les bureaux du futur sont aussi responsables de ce qu’il sera

Etna Volcano Paroxysmal Eruption Jan 12 2011 - Creative Commons by gnuckx (5350976334)

Différentes projections estiment que le numérique pourrait atteindre, d’ici 2030, plus de 20 % de la consommation d’électricité totale. Plus d’un tiers serait pour les datacenters (cf. https://www.nature.com/articles/d41586-018-06610-y et https://www.greenpeace.fr/il-est-temps-de-renouveler-internet/). Tout cela produit aussi des gaz à effet de serre. Donc la « dématérialisation » pèse lourd pour l’environnement. D’ailleurs qu’on soit au travail… ou pas (Netflix).

Si les employés peuvent à titre individuel, adopter des comportements plus vertueux dans leur vie quotidienne, il serait judicieux que les entreprises réfléchissent aux bureaux du futur d’abord comme à des bureaux responsables. S’ils peuvent être « nomades et virtuels », tant mieux. Toutefois, n’oublions pas ce que le passé nous a déjà appris. Si le progrès technologique peut être une solution pour un besoin de productivité, mal inspiré face aux autres besoins, il peut aussi devenir le problème. L’histoire de la climatisation, qu’on peut amplement méditer ces jours-ci, en est un bon exemple.

Rien de nouveau sous le soleil, peut-être. Mais si on veut éviter les 2 degrés de plus dans vingt ans, il va falloir changer rapidement et collectivement.

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